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À LA RENCONTRE DE BÉATRICE DE CRÉCY...


Smart Talk nous amène cette fois dans l’appartement de Béatrice de Crécy, la co-fondatrice et directrice artistique de la marque de chaussettes Bonne Maison, dans le 11ème arrondissement de Paris. Cette ancienne étudiante aux Beaux-Arts nous explique s’être retrouvée dans la mode un peu par hasard, elle qui avait initialement étudié la restauration de tableaux. Une collaboration fortuite avec son associé, Jean-Gabriel Huez, l’amène aux chaussettes, qui sont aujourd’hui son support d’expression artistique. Pour nous expliquer son processus de création, elle nous montre ses planches d’inspirations, sur lesquelles elle jette des images avant de les assembler pour en faire émerger trois histoires différentes chaque saison. On comprend au fil de la discussion l’importance qu’occupe la peinture dans la vie de cette passionnée d’art. Dans ce Smart Talk, elle revient sur son parcours, sa relation ambivalente à la mode et nous explique le passage délicat de l’inspiration au motif final ainsi que le défi que représente le développement et la production d’un produit en France.
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L’Exception : Bonjour Béatrice. Pourriez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?

Béatrice de Crécy : Bonjour. Je m’appelle Béatrice de Crécy et je suis la directrice artistique de la marque de chaussettes Bonne Maison que j’ai fondée avec Jean-Gabriel Huez en 2012.


Vous avez étudié la restauration de tableaux aux Beaux-Arts d’Avignon. Comment vous êtes-vous retrouvée à travailler dans la mode ?

Quand j’étais aux Beaux-Arts, je travaillais dans le bureau de style de Christian Audigier pour gagner ma vie. De fil en aiguille, j’ai trouvé ça plus intéressant que mes études et donc j’ai mis fin à celles-ci en dernière année pour m’occuper du graphisme au sein de ce bureau. En 1990, je suis partie pour monter mon propre bureau à Lyon, dans lequel on faisait des catalogues, du graphisme et des collections. On travaillait avec beaucoup de marques de sportwear comme GoSport ou Adidas. C’était très varié. Ensuite j’ai déménagé en Corse où j’ai continué à travailler en freelance pour mes clients.

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Comment avez-vous rencontré votre associé, Jean-Gabriel Huez ?

Je l’ai rencontré à l’occasion d’une mission lorsque je travaillais pour Christian Audigier. Lui travaillait pour la marque de chaussettes Doré Doré. On a eu plusieurs fois l’occasion de travailler ensemble et comme les projets sur lesquels on collaborait marchaient bien, je lui proposais souvent de créer notre propre projet. Quand il a décidé de créer sa société, tout s’est enchainé naturellement et c’est comme ça que la marque Bonne Maison est née.


Pourquoi avoir choisi la chaussette comme medium d’expression ?

Avec Jean-Gabriel, nous avions adoré les chaussettes japonaises vendues à l’époque chez Autour du Monde avec de petits motifs très fins. La chaussette, en plus d’être un accessoire très usuel, est un produit que nous connaissions très bien, tous les deux à notre niveau.

Avec vos Bonne Maison, vous essayez de « raconter des histoires sur l’espace qui sépare la chaussure du bas d’un pantalon ». Avez-vous toujours eu le sentiment que la chaussette pouvait être une manière discrète d’exprimer sa personnalité dans une tenue ?

Je n’ai pas toujours eu ce sentiment mais il s’avère que c’est le produit sur lequel on a décidé de se lancer, donc, de fait, c’est devenu mon support d’expression. L’envie de raconter des histoires sur les chaussettes est venue petit à petit et comme je suis très libre créativement, c’est vite devenu une marque de chaussettes originales.


Chaque saison, vous créez 3 histoires composées de 12 modèles de chaussettes. Où trouvez-vous l’inspiration pour composer ces histoires ?

Je travaille beaucoup avec l’image. Je mets beaucoup d’images de côté, de peintures, d’architecture et de toutes autres sortes de choses. Ensuite, je fais du tri et je les assemble pour créer des planches d’inspirations. J’essaye de garder trois ambiances à la fin. La difficulté est de passer de ces inspirations à un produit visuellement fort et facilement compréhensible. Tout le travail est là : passer de mes envies à un produit. Souvent, je travaille avec une stagiaire à qui je communique mon univers et qui m’aide ensuite à aboutir les dessins qui se trouvent in fine sur les chaussettes. La collaboration est toujours très fructueuse, c’est un échange.

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"La difficulté est de passer de ces inspirations à un produit visuellement fort et facilement compréhensible. Tout le travail est là : passer de mes envies à un produit."
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Pouvez-vous nous raconter l’histoire de la collection automne-hiver 2019 ?

La première s’appelle « un soir ». Elle est inspirée des tableaux de Markus Lüpertz , qui a peint beaucoup de tentes, géométriques et en même temps très picturales, avec des mélanges de couleurs assez osés. Il y aussi les peintures de Salvo qui sont aussi géométriques mais avec des couleurs plus douces. Ce qui m’a inspiré c’est vraiment ce côté répétitif et coloré.

La deuxième s’appelle « Mandragore ». Je suis partie d’une image d’un plat de fenouille de ma tante, qui était magnifique. On voyait le fenouille vert tendre et un peu rosé, avec le persil vert vif. On ne retrouve plus tellement ça à la fin mais c’est ce qui m’a inspiré, notamment le mélange du vert et du rose. Les fenouilles sont devenus des artichauds. Puis ça m’a inspiré des personnages de la Renaissance et les mandragores, qui sont des petites racines à forme humaine.

La troisième s’appelle « un rêve », et là ce qui m’a inspiré c’est le travail d’une peintre surréaliste américaine qui s’appelle Gertrude Abercrombie . Les couleurs de cette histoires sont le bleu, le violet. Pour l’ambiance, j’ai pensé aux films de David Lynch, dans lesquels il y a parfois des scènes un peu étranges, comme dans les rêves. Sur les chaussettes de cette histoire, on voit des gros escargots, des hommes qui tombent et qui se rattrapent aux queues des chats, des yeux qui pleurent. Des choses bizarres, comme ce qui peut se passer dans les rêves .

Vous avez beaucoup de sources d’inspiration et vous partagez certaines d’entre elles sur le compte Instagram @bonnemaisonfr. Il s’agit essentiellement de peintures. Pourriez-vous nous dire quels sont les peintres qui influencent le plus votre travail ?

Picasso est un maître absolu pour moi. Si je devais en choisir un, ce serait lui. Après, j’en aime énormément d’autres. Il y a aussi Matisse et David Hockney que je trouve géniaux. Le point commun c’est que ce sont des grands coloristes.


Les lookbooks de la marque sont plein d’inventivité car mettre des chaussettes en scène n’est pas facile. Êtes-vous aussi à la direction artistique de l’image en général ?

Oui, tout à fait. On prend les photos dans l’atelier partagé dans lequel je travaille, le week-end pour ne pas gêner les autres. On déroule un fond et on essaye d’imaginer des mises en scène. On trouve des vêtements et des chaussures et on demande à des étudiantes du studio Berçot, qui est juste à côté, si elles veulent bien poser pour nous. Mais ça peut aussi bien être une fille que je croise dans la rue ou dans un café. Une photographe travaille avec moi une journée par semaine. Pour les looks, on collabore avec des marques de chaussures comme Anne Thomas, la Botte Gardiane ou Yvonne Waska , dont les univers sont compatibles avec celui de Bonne Maison. Ça se fait assez spontanément, sans forcément beaucoup de préméditation.

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"Avec mon associé, on a toujours eu le souci du produit, plus que de la communication. Le côté « bleu, blanc, rouge » n’est pas notre cheval de bataille. Pour nous, le plus important est la qualité du produit et le fait que nos clients ne soient pas déçus lorsqu’ils achètent des chaussettes Bonne Maison."
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Au-delà de l’originalité, il y a une vraie problématique de durabilité chez Bonne Maison. Pouvez-vous nous expliquer votre processus de développement produit pour obtenir une chaussette d’une telle qualité ?

On utilise un fil de coton égyptien qui est traité et filé de manière à éviter le boulochage. Ensuite, le coton est mélangé à un lycra très fin pour donner l’élasticité. Les pointes sont renforcées et nos chaussettes sont faites avec une technique de remaillage maille à maille, ce qui fait qu’il n’y a pas de coutures. Ça rend les chaussettes à la fois plus solides et plus confortables. Nous faisons également teindre la plupart de nos fils en Italie pour avoir des couleurs uniques.


D’où vient tout ce savoir-faire ?

Mon associé, Jean-gabriel Huez a une grande connaissance de la chaussette pour avoir travaillé pendant 15 ans chez Doré Doré. Ensuite on a mis au point nos modèles de chaussettes avec le PDG d’une petite usine de tricotage qui se situe dans un petit village à coté de Limoges. Il est très curieux et a cherché des solutions avec nous pour mettre au point nos chaussettes. Ça a pris beaucoup de temps avant de finaliser notre produit.


Pour réussir à fabriquer 80% de votre production en France, vous avez investi dans des machines à tricoter avec un fabricant français. Pouvez-vous nous expliquer les tenants et les aboutissants de cet investissement commun ?

Comme l’usine avec qui nous avons développé le produit n’avait pas beaucoup de machines adaptées au départ, nous avons décidé d’investir dans deux machines dont nous sommes propriétaires et qui se trouvent à l’usine. Nous avons fait cela afin de marquer notre solidarité et notre volonté de collaborer avec ce fabriquant. On avait à cœur de lui montrer que, s’il nous aidait à mettre au point notre produit, nous allions ensuite travailler avec lui de façon pérenne, parce que c’est assez difficile de trouver un fabriquant qui accepte de vous aider à développer votre produit en France. Cela demande un réel investissement de sa part.

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Où sont fabriquées les chaussettes qui ne le sont pas en France ?

Les 20% restants sont fabriqués au Portugal. Mais c’est seulement parce que l’usine avec laquelle nous travaillons en France n’a pas la capacité de tout produire. Cela nous coûte le même prix au Portugal, si ce n’est plus cher, alors ce n’est pas une histoire de prix. C’est une histoire de capacité de production. Le tricotage ne coute pas si cher car il y a besoin de peu de main d’œuvre, contrairement à la maroquinerie. Donc c’est possible de faire fabriquer en France sans vendre à des prix faramineux.


Pourquoi est-ce important de fabriquer en France en 2019 ?

Tout d’abord pour des questions de qualité. Ça permet de pouvoir mettre le produit au point plus facilement et de surveiller la production. Avec mon associé, on a toujours eu le souci du produit, plus que de la communication. Le côté « bleu, blanc, rouge » n’est pas notre cheval de bataille. Pour nous, le plus important est la qualité du produit et le fait que nos clients ne soient pas déçus lorsqu’ils achètent des chaussettes Bonne Maison.
L’autre aspect important que le fait de créer des emplois en France, même si je sais que les usines ont parfois du mal à recruter. Travailler dans les usines de textile n’intéresse plus tellement. Pourtant, à chaque fois que je vais finaliser les collections à l’usine, c’est un grand plaisir pour moi. Toutes les personnes avec qui je collabore sont très investies et à l’écoute, elles font des miracles ! Ce sont des métiers qui ont vraiment du sens, car on produit quelque chose. À la fin, on peut voir le fruit de son travail.

Avez-vous pour ambition d’étendre la marque à d’autres types de produits ou Bonne Maison a-t-elle vocation à rester une marque de chaussettes ?

C’est en questionnement, mais pour le moment je ne peux pas vous en dire plus. En tout cas, ce que je peux vous dire c’est que j’en ai la volonté. J’aimerais bien élargir mes supports d’expression.


Quelles sont les initiatives qui vous touchent particulièrement dans le monde de la mode actuellement ?

Avant je regardais ce qui se passait dans la mode mais maintenant je me sens un peu en décalage. Je vais beaucoup dans les friperies, les recycleries et les puces. Je n’achète presque plus rien de neuf. C’est très inspirant pour moi les vêtements anciens. Le monde de la mode me fait un peu peur en fait. Je ne me sens pas faire partie de cet univers, je suis dans une démarche beaucoup plus simple. Enfin, si je devais citer un créateur contemporain je citerais Jacquemus. Je trouve qu’il est fort dans les concepts, l’image et les couleurs.

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Get to know Béatrice

Votre premier souvenir mode ?

Un meuble chez ma grand-mère qui était rempli de fils de soie, de tapisseries et de broderies.

Votre musique préférée en ce moment ?
Votre film préféré ?

Dersou Ouzala de Akira Kurosawa.

Le cadeau que vous aimez offrir ?

Des places pour des pièces de théâtre ou des concerts.

L’endroit où vous avez envie de partir en vacances ?

En Transylvanie. .

Une bonne adresse à recommander à nos lecteurs ?

Chez Taeko, le restaurant japonais du marché des Enfants Rouges.

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Découvrez la collection femme et homme de Bonne Maison chez L’Exception.

Photographe : Louise Reinke
Interview : Benjamin Benvenuti
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