L’Exception l’a rencontrée pour savoir comment elle faisait.
L’Exception l’a rencontrée pour savoir comment elle faisait.
Nathalie Rozborski : Je pense que la première chose à savoir sur moi est que je suis franco-polonaise, j’ai toujours navigué entre des cultures assez différentes. Cette dichotomie me caractérise beaucoup. Si on regarde ma formation académique, c’est pareil. J’ai à la fois été danseuse hip-hop et j’ai fait des études de business marketing international. Donc la bi-culture a vraiment constitué mon identité personnelle et professionnelle.
Danseuse ! J’ai habité à Dijon jusqu’à mon premier semestre de fac et je me suis vite sentie à l’étroit. Je suis venue habiter à Paris avec l’idée fixe de devenir danseuse professionnelle, spécialisée dans les danses urbaines. J’ai connu les terrains de danse de la Gare de Lyon, de Châtelet etc. et puis je me suis rendue compte qu’il y avait beaucoup d’appelés et peu d’élus. J’ai donc sagement poursuivi mes études à la Sorbonne… sur les conseils de mon père footballeur professionnel qui savait ce que c’était, aussi, une carrière qui s’arrête à 30 ans. J’ai ensuite appris le management des industries créatives dans le luxe et la mode, c’est à dire mon métier aujourd’hui.
Avec Zacharie, qui a deux ans et demi, on regarde les magazines ensemble et les campagnes d’affichage de street marketing sur le chemin de la maternelle. Il a déjà un avis très arrêté sur ses critères esthétiques, c’est très rigolo. D’ailleurs je pense que les marques devraient faire des focus groupes, des pré-tests avec des enfants pour des campagnes ou des parfums. Les enfants ont un rapport très direct à l’image sans les filtres sociétaux de décryptage que l’on applique nous, c’est super intéressant. Sinon, pour moi, quand je lui explique je lui dis « maman elle a des clients elle fait du conseil », il répond « c’est quoi des clients ? » mais je n’insiste pas… ce n’est pas son monde et il a bien le temps de comprendre.
Avant tout, je pense que vos priorité changent radicalement quand vous devenez maman. Vous avez beaucoup moins de temps, donc ce temps doit être scrupuleusement utilisé à bon escient. Comme je n’ai pas de temps à perdre, ça m’a beaucoup aidé à déléguer par exemple, ce qui pour moi a longtemps été un grand problème… Avoir moins de temps aide à prioriser et mettre le focus sur les choses vraiment importantes. Être maman, c’est être chef de projet. Il faut gérer chaque chose, tout organiser. Ma journée fonctionne uniquement si je respecte mon agenda. Je garde de la spontanéité bien sûr, mais je pense que les enfants ont besoin de repères, les équipes avec qui je travaille aussi, c’est important d’instaurer des rituels pour que les gens se sentent sereins. Et puis la maternité m’a obligée à lâcher prise…
Et puis la maternité m’a obligée à lâcher prise…"
...Ce sont les enfants qui dictent les règles et le rythme, ce qui a été un défi personnel énorme. Ils m’ont appris qu’on peut faire différemment, et qu’on n’est pas obligés de faire de consensus entre une carrière et des enfants. C’est un débat qui est dépassé aujourd’hui. Il ne faut plus que les femmes choisissent entre être à la maison ou travailler. On peut faire les deux.
Je me réveille à 6h30 et je me couche très tôt. Ce n’est pas très sexy, mais sinon je ne tiens pas… Je suis couchée au plus tard à 22h30. J’adore dormir et le sommeil le plus réparateur, c’est avant minuit ! Je commence très tôt parce que j’ai besoin d’avoir 30 minutes pour penser à moi, définir les priorités, structurer ma journée et après, je suis prête, la journée peut commencer ! Je m’occupe des enfants, de la maison, du boulot et tout le reste. Vous ne me verrez jamais au-delà de 22h30/23 heures dans les dîners.
Peut-être les deux ! On m’a donné ma chance très vite mais le vrai chiffre de carrière, c’est quand à 27 ans, j’ai été directrice de tout le conseil pour la mode chez Nelly Rodi qui est le plus gros business de Nelly Rodi, à savoir les trois-quarts du chiffre d’affaires. Là, oui j’étais jeune. Pendant un an, j’ai fait une centaine de pays, je dormais chez moi une nuit par mois. Je faisais des séminaires à Singapour, en Chine, au Maroc, puis aux Etats-Unis, partout. Je me retrouvais toute seule à tenir des conférences en anglais devant 350 personnes, j’ai gagné dix ans en termes de maturité professionnelle et de carrière. Il est vrai qu’en France on a peut-être un problème avec l’âge. Mais je pense surtout qu’il y a des très mauvais patrons vieux et des jeunes très talentueux. Ça se saurait si avec l’âge on devenait meilleur ! Il est vrai que l’on gagne en maturité, en stabilité, en expérience avec l’âge, mais en aucun cas en talent.
Je fonctionne sur un équilibre entre confiance et contrôle, c’est comme ça que les gens se responsabilisent d’après moi, grandissent dans leur job. Je sais que ce n’est pas commun de penser comme ça en France… Je ne crois pas au présentéisme par exemple. Celui qui part le dernier du bureau n’est pas celui qui travaille le plus pour moi, mais est une personne désorganisée. Peu importe l’heure à laquelle mes équipes arrivent et repartent, nous évoluons dans un métier où ce qui compte c’est le résultat et la satisfaction des clients. En tant que manager, je valorise l’équilibre avec la vie personnelle. Si une fille a “besoin” d’un cours de boxe, et qu’elle ne peut pas assister à une réunion ? Qu’elle y aille. Je veux juste qu’elle s’organise pour que son travail soit fait. On vend du conseil, nous avons donc une obligation de résultat, pas de moyens. De la même façon, si les équipes veulent proposer une vidéo plutôt qu’un PDF, ils le font ! Ce qui m’importe, encore une fois, ce sont les résultats. Je suis très exigeante sur les objectifs, je peux même être radicale. Je crois beaucoup à l’énergie de la nouvelle génération d’entrepreneurs de laquelle je me sens très proche en terme de valeurs comme Guillaume Gibault (fondateur du Slip Français), Julia Bijaoui (fondatrice et présidente de Frichti) ou encore Juliette Levy qui a fondé OhMyCream. Quand cette nouvelle génération arrivera à la tête des sociétés, quelles qu’elles soient, là les moeurs évolueront et les habitudes de travail changeront. Ça prendra peut-être une génération, mais ça arrivera.
Tout se prévoit. Je ne veux pas être dans une frénésie de vie. "
Tout est une question d’équilibre. Je privilégie le on/off. Je n’ai aucun complexe à partir parfois du bureau tôt mais je peux tout à fait travailler à nouveau une fois que tout le monde est couché. Je trouve que c’est super important d’être là au moment du bain, du dîner etc. Il y a quelque chose sur lequel je ne transige pas, c’est que le week-end et le soir sont dédiés à ma famille. Il peut y avoir des exceptions en période de salons ou de Fashion Weeks. Il y a un accord tacite entre le bureau et moi : je suis joignable H24 et 7/7 si les équipes ont besoin de quoi que ce soit, en revanche quand j’ai besoin de mon temps avec mes enfants, tout le monde le respecte, ils savent que c’est primordial pour moi.
J’ai un côté mère indigne sur une chose, c’est vrai… j’ai du mal à dire non aux écrans. Je sais que de 0 à 3 ans, c’est un problème. J’ai des copines qui sont jouets en bois et zéro écran, moi j’ai du mal. En revanche, le matin quand j’emmène mon fils à la maternelle, j’entends tous les parents dire “vite vite vite” et les vois tirer leur enfant par la main. Je l’ai fait une fois, parce que j’avais un rendez-vous après. Je me suis promis que plus jamais je ne me mettrai dans cette dynamique. Quitte à ce que ce soit moi qui me lève encore plus tôt, ce n’est pas grave, il faut qu’il ait son temps. Je ne veux pas le presser, qu’il puisse regarder la coccinelle, le camion qui passe, et ne soit pas soumis au stress. Tout se prévoit. Je ne veux pas être dans une frénésie de vie. C’est peut-être mon côté mère modèle, le respect de ce temps de l’enfance.
La dernière chose qui m’a fait pleurer est le court-métrage de James Bort, sa femme c’est Dorothée Gilbert de l’Opéra de Paris. Et sans révéler l’intrigue, parce qu’il faut que vous le voyiez, Catherine Deneuve qui est dans le court-métrage a une réplique très forte où elle dit “ne choisissez pas, vous avez le droit”. Elle parle du fait qu’elle peut être à la fois danseuse et mère. Ça m’a beaucoup parlé, j’ai pleuré à chaudes larmes quand je suis allée à l’avant-première. C’est tout à fait ça. On peut tout avoir si on s’en donne les moyens, si on est bien entourée, mais il ne faut avoir à choisir.