Clara Luciani : C’est juste qu’en fait j’ai adoré faire partie de ce groupe et cette expérience. C’était très stimulant, j’étais avec sept personnes sur scène, c’était rock’n’roll ! Mais il est arrivé un moment où je me suis dit “ok, j’ai fait le tour de ce que je pouvais faire en terme d’interprète”. Ce n’était pas ce qui me faisait rêver d’être interprète, j’ai toujours écrit des choses et j’avais envie à un moment donné de les chanter.
Non, ce n’est pas le même style et pourtant il y a quand même pas mal de références communes. Ce qui m’a rapprochée de Marlon et qui a fait que je sois rentrée dans le groupe, c’est une conversation sur la plage à Cannes. On se met à parler des artistes yéyé, de Barbara… On a le même ADN mais de ces influences-là on peut partir d’un côté ou de l’autre. Et effectivement je pense qu’on fait des choses très différentes maintenant.
En fait, j’ai l’impression que ça va être deux familles différentes. Il va y avoir d’un côté la chanson française, plus traditionnelle avec des artistes comme Barbara, Françoise Hardy, William Sheller… Et puis d’un autre côté quelque chose de beaucoup plus rock avec The Velvet Underground ou Lou Reed.
C’est vrai que je suis assez curieuse et je trouve qu’en 2018 ne pas être curieux c’est vraiment une connerie pas possible parce qu’on a tous les outils pour. Avec Spotify tu peux écouter toutes les chansons du Monde entier, de toutes les époques. Je pense qu’on est à un moment où il faut être curieux parce que sinon on est vite dépassé.
Oui, après pour être honnête c’est juste que les chansons naissent dans une forme très squelettique et très intuitive pour moi qui est guitare-voix. C’est le seul instrument dont je joue et dont je joue, en plus, relativement mal. C’est la forme première, et puis ensuite je travaille avec des réalisateurs et des producteurs qui l’emmènent autre part. Mais j’aime l’idée que les chansons aient deux vies justement ! “La Grenade”, par exemple, j’aime autant la chanter en guitare-voix dans une forme hyper dépouillée qu’avec tout le groupe. Et les deux me ressemblent, je crois. Même quand je suis allée voir Yuksek et Benjamin Lebeau, on a toujours travaillé main dans la main vers quelque chose qui me ressemblait. Et comme lorsque je parlais de mes influences, je pense avoir à ce niveau-là aussi deux facettes. À savoir un truc très rugueux, très rock, très dépouillé et autre chose presque plus disco.
Oui, en fait je ne sais pas si ça vous fait ça parfois ou si ça le fait uniquement à ceux qui écrivent des chansons mais plein de fois j’entends certaines chansons et je me dis “j’aurais trop aimé l’écrire”. Ça m’arrive aussi parfois en lisant des livres. Et là, cette chanson de Metronomy quand je l’ai entendue je me suis d’abord dit “j’aurais tellement aimé la trouver”, et j’ai pensé ensuite que je ne l’avais peut-être pas trouvée mais que je pouvais quand même l’utiliser, la transformer à ma sauce, et c’est ce qui s’est passé.
Du coup, je lui ai envoyé la chanson, il a trouvé ça très cool et il m’a autorisée à l’enregistrer. Tu ne peux rien faire sans autorisation. Par exemple, j’ai une reprise de Lana Del Rey en français que j’aime beaucoup et je n’ai pas le droit pour le moment de l’enregistrer parce que je n’ai pas l’accord et pas non plus le 06 de Lana donc… *rires*
C’est quelque chose que tu aimes ?
J’adore de plus en plus en fait. Au début j’étais vraiment très timide et ce n’était pas confortable pour moi. Je me mettais dans des états pas possible. Je tremblais tellement que j’arrivais pas à jouer de la guitare. Maintenant, c’est tellement agréable parce que c’est le public qui nous porte beaucoup et qui fait que l’on a confiance en nous ou pas. Et là, lors des dernières scènes que j’ai faites les gens connaissent les paroles. Ils viennent et on sent qu’ils ont écouté les chansons. Du coup, il y a quelque chose de tellement rassurant et bienveillant que ça devient hyper vite addictif, tu as envie que ça reprenne. C’est mon truc préféré je pense.
Qu’est-ce qui a changé dans ta vie entre-temps ?
Je crois que c’est le cours de la narration. L’EP c’est la destruction et l’album c’est la reconstruction. Il y a presque un récit entre les deux finalement. Et du coup, c’est pour ça que l’album est un peu plus éclairé et qu’il y a plus d’énergie, parce qu’il en faut pour se retrouver.
Oui parce que je me disais “c’est bête, c’est un album que je dis autobiographique et dans lequel je ne parle pas du tout de ce que j’estime être ma terre”. Du coup, je me suis demandée comment je pouvais faire un clin d’oeil à cette région. Un jour, je suis arrivée à la gare d’Aix-en-Provence de laquelle on voit la Sainte-Victoire. Et en plus de ça, la gare a été étudiée dans son architecture pour évoquer elle aussi la Sainte Victoire. Il y a eu une sorte de “reflet” où je me suis pris deux fois la réflexion en me disant “ quand même, ça sonne pas mal, c’est beau, ça veut dire plein de choses ”. Ça a été assez évident en fait, j’ai tout de suite envoyé un message à mon équipe.
Oui c’est ça et “Sainte” aussi ! L’idée de la Madone, de la femme un peu sacralisée… Ça avait du sens vraiment sur tous les points ce titre-là.
En fait c’est marrant parce qu’avec les premières chansons que j’ai écrites après ma rupture, on m’aurait dit “ tu vas aller chanter sur scène ” j’aurais répondu “ ouais bien sûr ouais, et puis je vais aller montrer mes fesses aussi tant qu’on y est ”. Il y avait quelque chose comme de l’impudeur où je me disais “ non, jamais ”. C’était vraiment un journal intime et pour moi ça n’avait pas à sortir de ma chambre. Et en fait, je suis arrivée à Paris avec ces chansons-là que j’ai faites écouter à mes amis qui m’ont dit que je n’avais jamais fait quelque chose qui me ressemblait autant. J’ai été énormément encouragée par les gens autour de moi qui m’ont dit que ces chansons devaient exister. Et puis ensuite, en les chantant en public j’ai encore eu cette sensation d’être un peu exhibitionniste, mais il y avait à la fois quelque chose d’hyper puissant et de bienfaisant. Pour moi, c’était cet aspect où finalement quand une souffrance est rendue publique on s’en déleste un peu.
Oui c’est vrai, je crois que j’ai un public plus féminin. Je suis un peu triste parfois que ça touche plus les femmes que les hommes. Parce que je crois que factuellement c’est ce qui est en train de se passer. Quand je regarde un peu lors des concerts il y a quand même plus de nanas, et ça m’embête un peu. Je trouverai ça dommage que juste parce que je dis “seins” ou ce genre de choses, tout à coup on se dise “ah bah ça me regarde pas”.
Mais ce n’est pas une histoire de fille ! Être malheureux en amour c’est une histoire universelle. Ou même “La Grenade” finalement oui ça dit “sous mon sein la grenade”, mais ça pourrait être n’importe quoi. Ça veut juste dire que derrière une forme de fragilité on peut être puissant, donc il y a des hommes à qui je pense que ça peut beaucoup parler également.
De toute façon, j’ai l’impression que tout est construit sur la dualité chez moi. Même dans ma personnalité, mais ça c’est quelque chose de peut-être plus insondable que dans la musique. C’est très humain quelque part d’osciller comme ça entre la joie, la mélancolie... Il y a cette idée de trouver son équilibre entre deux forces qui nous animent. J’ai l’impression que c’est un peu l’esprit humain qui est fichu comme ça, d’avoir deux énergies.
J’ai tout fait pour, c’est pour ça aussi que j’ai enlevé ma cape et mon chapeau. Cet album-là c’est moi, avec ce que j’ai de pire et de meilleur.
Oui, j’en avais besoin parce que c’était déjà tellement intime et tellement intense que j’avais besoin de quelque chose pour me couvrir de ce truc que j’ai toujours considéré comme de la pudeur. Pour moi, chanter des choses comme ça au départ c’était très compliqué. Je crois que ça m’a sauvée de passer par cette phase là où je me disais “ oui c’est moi mais pas encore exactement moi ”. Alors que là maintenant je peux même être en t-shirt sur scène.
Oui. C’était mon nom, mes chansons, et tellement mon histoire que j’avais besoin d’accessoires, de théâtralisation, et finalement là c’est un peu un effeuillage. Je reviens à qui je suis.
C’est un combat que l’on doit tous mener mais par contre je le mène pas vraiment à travers ma musique."
C’est vrai que je dis que c’est un album de femme parce qu’il est tellement intime que dans la moindre phrase je pense qu’on entend ma féminité. Par exemple, l’année dernière j’ai beaucoup lu Annie Ernaux que j’adore, et je trouve que ça transpire de féminité. On sent son corps, ses sens, il y a quelque chose d’hyper féminin mais féministe non ! L’idée c’était plus de dire un ras-le-bol par rapport à des conneries que j’entendais sur les femmes dans la musique etc. Mais je me suis jamais dit que j’allais écrire un hymne féministe. Je suis féministe dans la vie, je pense que c’est intolérable d’ailleurs que certaines personnes ne le soient pas. C’est un combat que l’on doit tous mener mais par contre je le mène pas vraiment à travers ma musique. Après, c’est certain que ça reste une grande interrogation pour moi... Benjamin Biolay dans ses textes, par exemple, parle de filles dont il est tombé amoureux… C’est un discours d’homme qui est transpirant de masculinité. Et pour autant, les femmes l’adorent, l’écoutent, le comprennent… C’est étonnant que dès que ça parle de femme alors il faut automatiquement que ça parle aux femmes. Mais en tout cas, il y a quelque chose qui m’a fait vraiment plaisir c’est que beaucoup de femmes qui ont eu le cancer du sein se reconnaissent dans “La Grenade”.
Au départ, j’ai trouvé ça étrange et en relisant les paroles j’ai réalisé qu’il y avait vraiment une double lecture. J’ai trouvé ça hyper beau. Elles l’ont utilisé comme hymne parce que ça leur donnait du courage et j’ai été tellement heureuse et fière. C’est un album qui parle de ma guérison que je me suis dit au final guérir d’un chagrin d’amour, guérir d’un cancer ou d’autre chose, le tout c’est qu’il y ait cette énergie-là qu’on ressente. Ce truc de conquérant, de guerrière.
Oui c’est assez compliqué… Par exemple, la première fois que je suis montée sur scène avec La Femme j’avais 19 ans, je portais une petite robe, et j’ai même pas le temps d’ouvrir la bouche pour chanter qu’il y a un mec devant qui a crié “celle-là ils l’ont pas pris pour sa voix”. C’est ce genre de remarque que tu entends alors que quand t’es un mec et que tu fais de la musique, tu peux t’habiller comme tu veux. Et ça ce n’est pas normal.
L’excentricité italienne dans la mode m’a toujours parlé. "
Oui et non en fait. Je pense que là où je suis une femme de mon époque c’est que je refuse justement d’être tout ce que l’on attend de moi, je pose mes limites et je me dis que je ne peux pas être tout et son contraire sous prétexte que c’est ce que la société demande aux femmes d’être. On se rend compte que toutes ces casquettes ne sont pas cumulables. À partir du moment où tu l’acceptes et tu te dis “bon, moi je ne peux pas être tout ça”, tu vas beaucoup mieux. Je vais beaucoup mieux depuis que j’ai fait cette chanson, je crois que ça m’a beaucoup aidée à réaliser quelle femme j’étais capable d’être. C’est le fait de se déculpabiliser de ne pas pouvoir être tout ça.
Oui ! Après c’est dur parce que mes parents ne sont pas très objectifs, j’ai même arrêté de leur faire lire mes textes. C’est difficile, je pense pour un parent de ne pas dire “mais c’est génial”. Ils ont un côté tellement encourageant à garder les articles des journaux etc. C’est tellement mignon mais je ne pense pas qu’ils soient les meilleures personnes pour juger ce que je fais je crois.
Déjà, il faut que ce soit confortable. Je pense que c’est ma priorité dans la vie. J’aime bien faire en sorte d’être à la fois confortable et élégante, ce qui n’est pas toujours facile ! Par exemple, j’aime beaucoup les pantalons taille haute. Je pense que si je devais garder une seule pièce qui me définit le plus ce serait ça : un pantalon de costume taille haute classique. Quelque chose de simple, je n’aime pas trop réfléchir à mes vêtements.
Il y a plein de choses que j’aime comme le directeur artistique Alessandro Michele de chez Gucci. J’aime aussi beaucoup Chloé et j’ai adoré le défilé AMI. Ça pour le coup, ça définit clairement mon style de tous les jours et les vêtements que j’aime. Des pièces très bien coupées, simples et élégantes. En fait, je vais beaucoup aimer ces choses-là et sur scène je vais apprécier porter des tenues beaucoup plus excentriques comme Gucci, Miu Miu…
Oui c’est ça ! Et puis, j’ai toujours eu un certain goût pour le baroque. L’excentricité italienne dans la mode m’a toujours parlé. Mais c’est vrai que dans la vie de tous les jours ce n’est pas l’idéal ! En ce moment, par exemple, je cours tellement à droite à gauche en tournée, ce serait absurde que je porte ce genre de pièces.
J’ai une boîte que j’adore avec un tigre où j’ai mes médiators et que j’ai depuis mon tout premier concert. Je l’ai absolument tout le temps ! D’ailleurs il y a quelqu’un qui a essayé de me la voler un jour… Ça s’est tellement mal passé ! *rires*